Lieux de mémoire français en Louisiane - Le Tremé

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Pour le reste du monde, le nom de Tremé est devenu familier avec la sortie en 2010 de la première saison de la série du même nom créée et développée par David Simon, l’auteur de The Wire.
Pour les Néo-Orléanais, le terme même de Tremé n’a pas toujours fait partie de cette famille de noms qui composent le substrat de la ville.
Que ce soit le folklore, les personnalités historiques, la diversité, la reconnaissance récente par le gouvernement des multiples erreurs d’urbanisme qui ont affecté ce quartier, cette partie de la ville n’a pas fini de nous révéler des histoires vécues, puis oubliées, puis ressuscitées à la faveur des différentes lectures et révisions de l’Histoire de la ville.

Back of Town

C’est ce nom qu’utilisait la population de La Nouvelle-Orléans pour qualifier le quartier avant sa dénomination actuelle.

Au commencement, il y a la plantation Morand, lieu de l’actuel New Orleans African-American Museum, et les forts St. Ferdinand et St. Jean.
Vers la fin du 18ème siècle, un certain Claude Tremé rachète les terres et l’histoire s’accélère. On en restera là pour les origines du nom.
Commence alors la subdivision des terrains dans ce qui sera déjà l’un des quartiers les plus divers sociologiquement dans un pays qui vient de naître.
Nouveaux arrivants venant de toute l’Europe ou personnes libres de couleur, une identité est née.

Ce sont justement ces personnes libres de couleur qui vont donner à l’endroit son âme ; le Tremé sera en effet le premier quartier du pays composé en majorité de cette population ; un chaudron où bouillonnent toutes les aspirations d’un peuple protéiforme et où s’expérimentent de nouvelles formes de société.
Un lieu en particulier devient le réceptacle de toutes ces cultures, le Congo Square.

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Dans ce marché aux esclaves situé juste en dehors des délimitations du Quartier Français, ces hommes et ces femmes privés de liberté et de dignité chantent et dansent le dimanche, le seul jour libre que leur accorde “le Code Noir” établi par la France.
Ces chants, ces danses et ces jeux ont commencé comme une sorte d’attraction dominicale, adossée au marché d’origine et fait unique à l’époque, les esclaves pouvaient également acheter leur liberté en acquérant et en vendant librement des marchandises.
L’architecte Benjamin Henry Latrobe relate dans son journal sa fascination de voir danser sur cette Place Congo plus d’un demi-millier d’esclaves, sans débordement, ni encadrement de gendarmes ou de milices armées.

Alors que les pratiques d’esclavage plus strictes des États-Unis remplacent progressivement le style français jugé trop “tolérant”, ces rassemblements se font de plus en plus rares. Bien qu’aucune archive précise n’existe, la pratique semble avoir disparu plus d’une décennie avant la fin de l’esclavage qui survient à l’issue de la Guerre de Sécession.

Pour en savoir plus sur Congo Square.

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Fraternité

1857.
“La Société d’Économie et d’Assistance Mutuelle” inaugure ses nouveaux locaux. Cette société francophone est composée de Créoles noirs et affranchis depuis plusieurs générations.
Durant la période d’avant la guerre de sécession, beaucoup de ces Créoles étaient propriétaires, dirigeaient des entreprises dans le quartier et avaient reçu une éducation, parfois en France. Les membres de cette association militent pour plus d’égalité et promeuvent des idées républicaines, bercés qu’ils furent dès leur plus jeune âge par les idéaux de la Révolution française, mais aussi et surtout de la Révolution haïtienne, à laquelle beaucoup de leurs ancêtres avaient pris part.

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A cette époque, La Nouvelle-Orléans est un agrégat de communautés, un patchwork de cultures vivant séparées les unes des autres.
Depuis le rachat de la Louisiane par les États-Unis en 1803, les communautés francophones sont restées attachées à leur langue et à leur identité.
C’est si vrai qu’en 1836, la ville s’est divisée en trois municipalités indépendantes pour que les parties francophones et anglophones puissent opérer indépendamment, l’occasion pour ces communautés de prospérer et de s’émanciper.

De nombreux exemples viennent illustrer cette parenthèse dans l’histoire de la ville.
Oscar Dunn, francophone, membre de la Société d’Économie et d’Assistance Mutuelle et véritable pionnier des droits civiques devint par la suite un des trois lieutenants gouverneurs de couleur de l’Etat ; ou encore les frères Roudanez, fondateurs du premier quotidien afro-américain de Louisiane, The New Orleans Tribune entièrement bilingue et dont le premier numéro affichait en une la traduction en français de la Constitution des États-Unis.
Ce dernier détail montre la très forte volonté patriotique d’intégration des populations créoles francophones et une volonté farouche d’atteindre leur propre “américanité” à travers les valeurs françaises et républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, pour eux le seul modèle de citoyenneté acceptable dans un pays où les structures étatiques et culturelles ont été créés pour et par les Blancs.

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La guerre de Sécession ouvre une brèche dans cette société verrouillée et les membres de ce que l’on appelle désormais l’Economy Hall saisissent l’occasion de porter leurs désirs d’égalité, dont le droit de vote, aux plus hauts niveaux, jusqu’à la législature d’État et même la Maison Blanche.
Leurs revendications restent lettre morte.
En effet, après la guerre et l’occupation des troupes de l’Union, la législature se recomposa avec des représentants jadis farouchement opposés à l’abolition, et qui n’auront de cesse de faire passer des lois de plus en plus restrictives pour la population noire, avant que la Louisiane et tout le Sud ne tombent dans ce que l’on appellera l’ère “Jim Crow”, cette ségrégation raciale qui ne prendra fin que cent ans après la guerre civile.

En savoir plus sur l’Economy Hall.

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La cicatrice

1930 est une année charnière dans la vie du Tremé.
Les autorités commencent leurs grands projets d’urbanisme en rasant toute une partie du quartier pour construire le Municipal Auditorium, puis réitèrent en 1941 avec la construction des logements sociaux Lafitte, qui marquent le début du long déclin de cette communauté.

Dans les années 60 la municipalité décide, sous couvert de rénovation urbaine, de littéralement sectionner le quartier avec la construction de l’autoroute surélevée I-10.
Ce projet fut au cœur d’une bataille qui divisa la ville pendant une vingtaine d’années.
En 1946, des fonds très importants sont alloués aux municipalités de tout le pays en vue de plusieurs grands projets de modernisation urbaine. Pour La Nouvelle-Orléans, deux projets d’autoroutes surélevées se mettent en place :
l’un parcourant le bord du Mississippi le long du Quartier Français et l’autre surplombant l’avenue Claiborne se trouvant au cœur du Tremé.
Il faut revenir sur cette artère en particulier car avec son terre-plein central bordé de chênes, ses commerces et son dynamisme, elle constitue un véritable îlot de prospérité pour la communauté afro-américaine de La Nouvelle-Orléans et un modèle d’urbanisme au cœur d’un quartier amorçant son déclin.

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Grâce à l’activisme de ses habitants et à son statut de lieu historique, le projet d’autoroute longeant le Quartier Français est abandonné et la municipalité se reporte sur le projet de l’avenue Claiborne, sans que ses habitants aient pu avoir leur mot à dire.
Un beau matin de 1966, presque par surprise, les ouvriers municipaux s’attèlent ainsi à la tâche en abattant un à un les chênes centenaires de l’avenue, sous le regard médusé des riverains. L’autoroute sera achevée au début des années 70 et ce sera le coup de grâce pour ce quartier qui verra son artère principale laissée à l’abandon, en proie à l’insécurité et aux trafics.
Mais comme tout à La Nouvelle-Orléans est une affaire de résilience, ses habitants se mobiliseront pour lui donner une nouvelle vie et le Tremé retrouvera par endroit une âme qui lui a toujours été propre, un tableau de la ville qui ne se retrouve nulle part ailleurs.
Sous cette canopée de béton, les activités se multiplient au fil des ans et les Second Lines, ces parades dominicales si caractéristiques de La Nouvelle-Orléans, apporteront aussi leurs cortèges de chants et de danses, comme jadis au Congo Square, pour célébrer la diversité et la liberté. Les débats actuels portent sur la revitalisation de ce quartier, par une politique urbaine plus attachée à la vie des communautés qui la font vivre depuis plus de trois siècles.

En savoir plus sur Claiborne Avenue.

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Dernière modification : 23/07/2021

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