Le Président de la République s’addresse à la communauté francophone de Louisiane
Retrouvez ici la transcription du discours du 2 décembre, au New Orleans Museum of Art.
Bravo, merci infiniment,
Madame la Maire, merci de votre accueil, merci aussi de nous accueillir dans ce merveilleux musée et je voudrais vous saluer toutes et tous [...] vous dire combien je suis heureux d’être parmi vous.
C’était 1976 la dernière fois. Certains s’en souviennent, ça fait longtemps et pourtant quand je suis arrivé tout à l’heure j’ai eu comme le sentiment d’être à la maison, vraiment, dans une maison différente et dans ce que je qualifierais de familière étrangeté. [...] C’est familier parce que notre langue est là, notre histoire est là, parce qu’il y a ce lien absolument insécable quel que soit les traités [...]
Et puis l’étrangeté parce que nous avons été accueillis, comme d’ailleurs un trait d’union formidable entre ce que Paris est en train d’organiser, le Musée Jacques Chirac Quai Branly faisant une superbe exposition sur les Black Indians, et le Black Indian qui nous à accueilli à l’arrivée à l’aéroport. Et cette familière étrangeté, c’est au fond ce que je ressens depuis que je suis là. [...]
Nous sommes un grand récit qui continue d’aller. Et la Louisiane n’a pas simplement fait partie de ce récit, grâce à des aventuriers, des pionniers géniaux [...] Mais parce qu’ici des femmes et des hommes aussi ont considéré que choisir une langue c’était continuer d’être fidèle à des valeurs, à un combat, à leur histoire, à une identité. Et parce que des Créoles blancs des Afro-descendants qui aimaient tant le français, parce que des Acadiens-descendants dans une période si troublée, et décidant de venir ici ont, en quelque sorte par une forme de malice de l’histoire, réussi à créer quelque chose d’unique littéralement dans ce lieu.
Alors si je suis devant vous, au-delà de vous dire l’immense plaisir qui est le mien d’être là, c’est d’abord et avant tout pour vous dire qu’on va continuer de défendre cette langue, qui a été ici défendue, et dans cette terre où le Conseil pour le Développement du Français en Louisiane a été créé dès 1968. [..] c’est la seule agence américaine dédiée au maintien de la langue française, qui a constitué alors un vrai tournant. Ça s’est fait ici. Beaucoup de choses ont été faites, l’éducation du français nous le savons, s’impose, et beaucoup d’initiatives ont été prises sur le continent mais en particulier ici. Mais au-delà de ce qui a déjà été fait, ce qui est fait depuis tant d’années en Louisiane et qui en quelque sorte innerve et irrigue les efforts faits pour le français partout, pas simplement aux États-Unis d’Amérique, mais sur tout le continent, nous avons décidé d’aller plus loin.
Convaincus en effet que l’enseignement du français c’est d’abord notre école et nos écoles, et qu’au fond pour beaucoup l’expérience d’une 2ème ou 3ème langue est absolument indispensable, [...] en 2017 on a fait une grande initiative pour le français, le French Dual Language Fund, [...] pour développer les filières bilingues francophones dans les écoles publiques américaines. Alors 5 ans plus tard, grâce au soutien des mécènes qui ont investi près de 1,5 MUSD dans la formation des enseignants, la création de ressources pédagogiques, l’embauche d’assistants de langue, les résultats sont là et on a près de 35 000 élèves grâce à cette initiative dans 29 États, c’est une formidable réussite. Mais on souhaite maintenant l’élargir [...] et développer le français de la maternelle à l’enseignement supérieur, en rendant surtout cet enseignement plus accessible à tous, et en quelque sorte en se battant un peu pour que le français ne soit pas simplement une langue qui est parfois vue comme un peu élitiste, [...].
C’est le sens donc de cette initiative French For All que j’ai le plaisir de lancer aujourd’hui grâce au généreux soutien des mécènes et je veux les citer : Chanel, Jane & Alfred Ross Foundation, la Fondation Jeannine Manuel, la Société Générale, Hubert Joly et la Joly Family Foundation, la John & Cynthia Reed Foundation.
[...] Et ce que nous voulons véritablement faire, et qui s’inscrit d’ailleurs en fidélité avec beaucoup de programmes qui ont été lancés ici et qui ont irrigué toute la région, c’est soutenir l’enseignement du français, des cultures francophones, et de permettre en effet à des enfants qui viennent parfois du monde entier, [...] de pouvoir avoir un enseignement aussi en français [...] et de permettre aussi d’en faire une langue d’opportunités culturelles, économiques, d’émancipation pour des jeunes du monde entier qui viennent parfois de zones francophones.
[...] nous allons multiplier les initiatives dans, et avec les universités, ajouter des bourses de stage et des bourses pour des étudiants, et en particulier des étudiants les plus défavorisés. Donc cette initiative soutiendra l’enseignement du français, des cultures francophones à l’université, sur ces campus qui sont un foyer d’échanges intellectuels entre nos deux pays, et ces universités nous offrirons via le French in Higher Education Program des ressources pour proposer des curriculas conformes donc aux meilleures pratiques qui sont relevées dans le pays avec 100 bourses de stage en France pour les étudiants les plus défavorisés, pour qu’ils puissent tirer profit des opportunités professionnelles qu’offre la maîtrise de la langue française.
Enfin, parce qu’il n’y a pas d’enseignement de français qui puisse fonctionner sans professeurs de français, [...] avec le New Pathways to Teaching French, nous contribuerons à former une nouvelle génération d’enseignants, à favoriser les doubles diplômes franco-américains en éducation, et octroyer 200 bourses de formation aux assistants de langue américains en France.
[...] ce que je voulais devant vous détailler aujourd’hui, c’est ce nouveau programme qu’on va lancer qui est une initiative très forte et qui va nous permettre en quelque sorte de continuer le combat, parce qu’ici c’est vraiment un combat qui s’est mené, et en annonçant ce programme ici, je voudrais finir par deux mots. Un mot sur la francophonie, un mot sur vous. Et en parlant de vous, parler de l’idée que je me fais de la langue française.
[...] je suis convaincu que le français est une langue d’avenir, parce que nous allons avoir par la démographie de nombreux pays francophones, en particulier sur le continent africain, une croissance démographique extraordinaire dans les années qui viennent, et parce que je suis convaincu aussi que la francophonie, et vous l’avez formidablement démontré ici, ça n’appartient pas à la France. Je rappelle souvent d’ailleurs que la Francophonie est une organisation internationale qui a été inventée par des Présidents africains et asiatiques, [...] c’est je dirais par essence, un projet politique de non-alignés, un projet politique décentré, décalé, mais avec une chose en partage, notre langue.
Et la vitalité de cette langue, elle réside dans l’esprit de résistance des femmes et des hommes qui la font vivre comme vous l’avez fait ici, et elle réside dans l’inventivité de celles et ceux qui décident de créer dans cette langue. Il y a plusieurs années maintenant, un formidable prix Goncourt, Monsieur Vautrin, a écrit sur le Cajun et il a formidablement célébré ce territoire. Mais les Acadiens, les Cadiens ont inventé des mots qui irriguent encore notre langue montrant sa vitalité de la même manière qu’aujourd’hui, dans le bassin du fleuve Congo, d’autres inventent des mots qui vont rentrer dans notre dictionnaire et qui nous permettent de penser à la limite de ce qui est une langue académique. Et ce faisant, la francophonie fait vivre ce qui est l’essence du français.
Nous avons une Académie française que nous chérissons, mais c’était un projet dès le début, de maîtrise en quelque sorte, [...] c’était l’esprit classique. Mais l’histoire du français a été une bataille permanente entre des patois, des langues vernaculaires et une langue académique. Cette bataille n’a jamais été réglée et à la fin Rabelais a gagné. Mais c’est vrai et ce qu’a apporté Rabelais c’est justement ce langage fleuri qui invente des mots, qui va chercher dans tous les territoires de la France hexagonale, à l’époque, des inventions, des mots pour qualifier quelque chose qu’une langue trop académique, ou qui ne vit que sur un fleuve et que sur une rive ne pourrait inventer. La francophonie permet cela et il faut continuer d’inventer des mots dans notre langue, et ces mots sont ceux d’écrivains, de slameurs, de rappeurs, d’artistes, mais cette langue est vivante, elle va continuer de changer de se transformer.
Et c’est pour ça que je crois dans l’avenir de notre francophonie et que nous allons continuer un peu partout de pousser ces programmes pour l’expansion du français mais avec, si j’ose dire un visage nouveau. Celui justement d’une langue ouverte qui accepte et qui veut les innovations, qui va vivre de celles-ci. Et c’est d’ailleurs pour ça que nous avons décidé, et les membres l’ont accepté, d’accueillir le prochain sommet international de la Francophonie en 2024 en France, [...] et nous allons le faire à Villers-Cotterêts. Et à Villers-Cotterêts, [...] nous avons, [...] fait un travail formidable, [...] c’est qu’on a rénové le château de Villers-Cotterêts. Alors ça ne dit peut-être pas grand-chose à certains, mais ça dit toute notre langue. C’est le château, où François 1er a pris un édit qui a fait de la langue française la langue de l’administration, ce geste politique pour unifier la France, la langue avec l’État, ce qui a unifié la nation en France, et a été un instrument de pouvoir.
Ce château était tombé en ruines, et cette ville, Villers-Cotterêts, quelques siècles plus tard, a été la ville où un général mulâtre esclave émancipé et ayant formidablement réussi dans les campagnes de Napoléon est venu s’installer. Il s’appelait Dumas, et il a eu un enfant, Alexandre Dumas qui a fait vivre cette langue et qui est né à Villers-Cotterêts et qui ensuite a fait un chemin initiatique pour partir à pied, raconte la légende, à Paris quand il a décidé d’écrire. Il a fait rayonner notre langue partout dans le monde, il était fils d’esclaves, élargi, émancipé. Et donc Villers-Cotterêts est en quelque sorte un précipité de cette histoire. Mais surtout nous avons créé là, la Cité Internationale de la Langue française et c’est un lieu d’éducation, d’invention, un lieu qui va reproduire l’odyssée de la langue française où on parlera d’ici, des Caraïbes, du Pacifique, de l’Asie, car notre langue est de tous les continents, et le soleil ne se couche jamais sur le français. Et ce sera aussi un lieu où on accueillera des résidences d’artistes, comme des élèves, à Villers-Cotterêts, et la Louisiane s’y trouvera. [...]
Et enfin, je conclurai par vous dire en quoi à mes yeux la Louisiane et votre ville ont quelque chose d’unique et au fond une forme de trésor pour ce qui est à la fois la France et la langue française. Parce qu’ici, vous avez décidé une fois pour toute que la catastrophe serait féconde. Sur cette terre, il y a eu la traite, l’esclavage, et nous y avons notre part de responsabilité, puis il y a eu la séparation, avec des arrêts fameux de la Cour suprême qui ont été déclenchés ici par des gestes forts, indispensables, militants. Mais votre terre quand on regarde son histoire, ce lieu, les femmes et les hommes qui la composent, ont, en fait, toujours décidé de ne jamais céder à ce qui sépare.
Et je trouve que ce qui est extraordinairement impressionnant en Louisiane, à la Nouvelle-Orléans, c’est qu’au cœur de la catastrophe, à chaque fois, il a été décidé de créer et d’inventer des métissages. Les Blacks Indians, [...] sont ce métissage assez unique je crois pouvoir le dire entre des Créoles, des Amérindiens, des Africains, parce qu’à un moment donné les cultures se sont croisées, ont inventé. Et des Black Indians au jazz, à la capacité à accueillir les Acadiens, à développer une langue nouvelle, vous avez décidé que le français qui avait pu être une langue de traite, deviendrait une langue d’espoir et d’émancipation, et je le rappelle dans vos journaux, dans l’Union, les premiers textes pour les droits civiques ont été publiés, et les premiers textes que même certains en France n’avaient pas lu, de Victor Hugo, expliquant ce qu’étaient les droits civiques ici, ont été publiés dans les années 1860. Vous avez choisi l’avenir, et le vrai visage de la France, et le vrai visage du français, qui est celui d’une nation ouverte, et qui sur chaque morsure de l’histoire, décide de créer, d’inventer, de faire et de ne pas céder.
Et donc, il y a, à mes yeux, quelque chose d’admirable, que je crois nous espérons tous dans des temps de divisions, ou de risque de divisions, et quand je regarde l’histoire singulière de la Nouvelle-Orléans, qui appartient à la fois à l’histoire des États-Unis et à l’histoire de la France, et aussi à l’histoire de l’Afrique ; ça n’est pas une histoire de blancs, de noirs, c’est une histoire de femmes et d’hommes, de toutes origines, de toutes couleurs, qui ne parlaient pas la même langue, qui ne pratiquaient pas la même religion, et qui se sont retrouvés au fond pour les seules bonnes raisons : embrasser un avenir possible et décider de créer ensemble quelque chose de beau et de fort. Et donc merci pour cela, parce que c’est un exemple d’un chemin possible à suivre, d’un chemin espéré, en tout cas de celui auquel je crois.
Vive la France et vive la Louisiane, et laissez les bons temps rouler !
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